Région de l’Est / Ruée vers les mines : Profit et péril – Recherche de l’or comme vecteur de la violence, de pratiques mystiques et de déperdition

« L’or trompe l’homme ! » Se lamente Sieur Baro A., les genoux au sol en signe de désolation. Ce sexagénaire originaire du village M’Bonè, groupement Bélita II, a vu sa culture (manioc, arachide et tabac) aller en ruine à cause de la convoitise pour l’or. « Je suis parti dire bonjour à ma belle-sœur au chantier, elle m’a offert un demi banko que j’ai lavé et ç’a donné 20 000 frs que voici », s’en réjouit ‘’président’’ Philippes, de N’Dendè. « Ça fait un mois et demi que nous sommes au chantier ; mais toujours rien », déclare Amos Liki, jeune cultivateur/orpailleur. « Ma moto-ci je l’ai achetée avec l’argent de l’or que j’ai eu en trois semaines. Le champ m’a beaucoup menacé avec mon frère», lance le jeune Gontrand Boma, 16 ans, sourire aux lèvres. Ces clichés traduisent le caractère particulier que revêt la quête de l’or. Le sourire et le pire!

L’Est Cameroun est l’une des régions aux richesses naturelles immenses inégalement exploitées. La grosse part revient aux firmes et sociétés étrangères ou détenues par des barons du régime. Les populations quant à elles, se contentent des résidus. Des quatre coins de la région, les chantiers d’or archaïques côtoient des sites d’exploitation mécaniques appartenant aux expatriés, les Chinois en référence. C’est le cas à Kambelé, Boukareau, Tombeau, Bélita II, M’Bonè, Boubara ect. Tout le monde sait que l’or appartient au diable (Mami water). Nul ne s’en prive pour autant, nonobstant les dangers. La jeunesse piquée par le syndrome du luxe est plus vulnérable. Chacun veut avoir un engin à deux roues, peu importe le prix. Cette addiction a cultivé chez les jeunes les gènes de la violence, de l’arrogance. S’offrir quelques grammes d’or ouvre les portes du graal: Alcool, belles petites, fringues. La seule issue c’est de passer par un chantier d’or. Surtout que le gramme d’or se vend à 30 000 frs en cash auprès des collecteurs qui se bousculent. La présence des orpailleurs dans les bars et snacks ne s’ignore pas. La formule de ‘’table-obscure’’ est une règle. Il faut noicir les tables en bouteilles. Une commande de bouteille de bière passée équivaut à un casier. Les plus modestes se voient servir 3 à 6 bouteilles par commande. Le prix unitaire variant entre 800 frs et 1 000 frs voire plus, vers les villages reculés.

Il est 9h ce 29 mai.  Nous débarquons à Bélita II, village situé à une soixantaine de km de Batouri, axe Kentzou (arrondissement de la Bombé) frontalier avec la République Centrafricaine. Chèvres, moutons, poules et lézards font la haie d’honneur à notre décente de véhicule. Longeant sur quelques mètres, nous apercevons une petite boutique à proximité de la plaque d’une société de tabac. Elle appartient à Ali, un vieillard Bororo, réfugié Centrafricain. Environ dix morceaux de savon, biscuits et quelques articles achalandent le comptoir. Après les civilités, nous nous affalons sur un tabouret qui traînait.  Des minutes plus tard, des sonorités musicales déchirent au loin le silence qui traverse le village depuis notre arrivée. Elles proviennent du chantier d’or. Nous empruntons la route qui traverse l’emprise de l’école publique du coin. Les salles de classe sont vides, pourtant un jour de classe. Rendu sur le site au cœur de la savane, c’est un déferlement. Des gens vont et viennent. Des huttes en piquets, nattes et herbes ornent le décor. En contre-bas, des boutiques, bars et restaurants offrent des services divers. Tout autour, les bruits de machines écrasant le gravier. La poussière colore l’atmosphère. Le ruisseau d’à côté est bondé de personnes qui, munies de recipients, s’activent à laver du sable. C’est le mécanisme de recherche de l’or. Une autre colonne de point commercial où on retrouve snacks, boutiques, bouillonne 24H/24. Edmond, 35 ans, originaire de Balessing, département de la Menoua, région de l’Ouest reserve un accueil chaleureux à ses clients au Quoshingho bar. A 200 m au sommet de la colline, un vaste espace à perte de vue grouille de monde. C’est à ce niveau que l’on creuse l’or. Il faut creuser des trous jusqu’à atteindre le gravier. La roche cassée sera contenue dans des sacs de 100 kg, puis conditionnée dans des banko (sacs ’bandjock’, que l’on fait écraser à 1 000 frs/unité). L’acquisition d’un puits (espace d’un mètre carré) se fait auprès du chef-chantier ou du propriétaire du champ, à 10 000 frs. des jeunes (6 au moins) sont engages pour la fouille. Leur ration journalière incombe au propriétaire du trou et s’évalue entre 1 000 et 2 000 frs, convertissable en nourriture, cigarette et whisky en sachet. A noter que le met principal du coin se résume au couscous manioc ‘kamô ou yombô’, servi au moins 4 fois/jour accompagné de la sauce de kôkô, gwôlô (gombo), kedenkeden, kekâ (feuille de melon), etc. La quantité d’or est fonction du sacrifice. Pour récolter plus, il faut se soumettre au yacine, un rituel mystique consistant à vider le puits voisin de son or par des methodes occultes. L’orpailleur peut obtenir jusqu’à 100g/trou; soit l’équivalent de trois millions frs à partager avec le féticheur qui exige une somme de 50 000 frs, et autres acessoires pour sa pratique et dresse une liste de conditions. Le défaut de respecter l’une d’elles peut s’avérer fatal. Avant de concasser le gravier, d’autres rituels sont faits; c’est le sataga. Après extraction,1 à 2 sacs reviennent au chef-chantier, une quantité aux femmes qui ont ravitaillé le trou en repas, une autre aux creuseurs et enfin aux personnes venues chercher forune qui rodent. «Je pleure le sort de ces jeunes qui se livrent à ces pratiques. Je me demande s’ils peuvent gérer le retour». S’indigne Ephraem Golike, jeune enseignant.

Découvert en février 2022, dans un champ de tabac appartenant à la famille Moussa, par le jeune Boris Yih, gendre, ce chantier a été le théâtre d’un drame. 08 orpailleurs sont décédés étouffés dans des puits. C’était un jeudi 09 juin noir. Aux environs de 15h, l’alerte est donnée. 03 puits juxtaposés viennent de se refermer avec 15 personnes à l’intérieur dont une femme et son bébé d’un an, fauchés par la terre qui glissait. Les fouilles menées ont permis de repêcher les victimes. Le bébé a été sorti des décombres, tout comme 06 autres personnes dont l’une rendra l’âme à l’hôpital. «Dieu est grand! Allah! Je suis sauvé! », pouvait-on entendre de la bouche du jeune Ulrich, pieds nus, t-shirt rouge, pantalon noir enroulé jusqu’au genoux et du Bororo, 50 ans, chaussures noires en plastique aux pieds, chéchia sur la tête, secourus 02 heures plus tard et escortés par une foule qui arpentaient les montagnes de terre creusée, courant le risque de se retrouver au fond d’un puits parfois de 10 m de profondeur. Le Préfet de la Kadey, Djadaï Yacouba, dans son ensemble gandoura bleu et un cache-nez blanc, arrive vers à l’effet de s’enquérir de la situation. Au total, 07 corps ont été retrouvés portant à 08 le nombre de décès. Des 03 puits refermés, 02 appartenaient à une même personne: «J’avais deux trous où j’étais déjà au niveau du gravier. 06 morts étaient dans mes trous. J’ai quand même réussi à laver deux sacs hier et ç’a donné 400 000 frs pour assister les familles. Deux autres sacs sont là. Je m’en vais voir le collecteur pour qu’il me trouve un peu d’argent je complete pour gérer la suite», explique d’une voix tremblante le nommé Bélor, cultivateur/orpailleur, résidant à la frontière des villages Nyabi et Bélita II. Il est à noter que le vendredi est consacré aux rituels sacrificiels et le week-end.

La course vers l’or pourrait avoir des conséquences sociales dramatiques, surtout sur une jeunesse pressque sans repères. «L’école est vide. En temps normal il est difficile de mobiliser les enfants en classe, imaginez ce que nous pouvons vivre, maintenant que le chantier d’or se trouve pratiquement dans la cours de l’école puisque situé à un jet de pierre», s’inquiète un Enseignant de l’école primaire publique du coin. Didier Mbang Ngouembe, directeur de l’institution et son équipe oeuvrent au quotidien à sensibiliser les parents sur la nécessité à ne pas laisser les enfants aller noyer leur avenir dans le chantier. Il faut agir le plus vite mais efficacement, si l’on souhaite construire les bases solides du développement de la région, soutient SM Jeannot Ngangam, chef du village Baribangue.

                                                                                           Owen Danke, Envoyé spécial

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